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Loi sur les travailleurs détachés

Personnel d’Air Baltic en Suisse : protection salariale juste au sol ?

Le canton de Zurich a décrété que le personnel de maintenance d’Air Baltic était soumis à la loi sur les travailleurs détachés lorsqu’il intervient pour Swiss dans le cadre d’un contrat de location avec équipage. Mais pas le personnel navigant.

Air Baltic utilise ces Airbus A220-300 pour les vols Swiss, avec du personnel navigant et au sol. Photo: WikimediaCommons / MarcelX42

Pour le domaine d’organisation de SEV-GATA, notre syndicat du personnel au sol du domaine aérien, il s’agit là d’une décision importante qui clarifie les choses. Mais l’exclusion du personnel navigant met en péril les salaires de celui-ci et les emplois en Suisse. C’est la raison pour laquelle Kapers, le syndicat du personnel de cabine, s’apprête à déposer un recours contre cette décision. SEV-GATA soutient sans réserve sa démarche.

Swiss a conclu son premier contrat de location avec équipage (dit contrat wet lease) avec la compagnie d’aviation lettone en août 2022 pour une durée courant du 30 octobre 2022 au 26 mars 2023, valable pour six avions au maximum. Le contexte était le suivant : après la pandémie de Covid, la demande en vols aériens est rapidement repartie à la hausse, alors que Swiss n’avait pas assez d’avions opérationnels, en raison du manque de réacteurs, et parce que la compagnie, après les licenciements massifs de mai 2021, n’avait pu ni engager, ni former suffisamment de personnel.

À l’époque, plusieurs syndicats, dont Kapers et SEV-GATA, avaient adressé à la direction de Swiss une sévère note de protestation : « La planification du personnel de Swiss, qui a pris trop tard les contre-mesures qui s’imposaient, a plongé la compagnie dans une situation où elle n’est pas capable de réaliser la production qu’elle a planifiée. Aujourd’hui, on a recours à des avions et à des équipages d’Air Baltic qui œuvrent à des prix nettement inférieurs aux nôtres. À nos yeux, il s’agit d’un dumping salarial inacceptable. Après que toutes les catégories de personnel ont massivement contribué à la sortie de cette crise, nous assistons aujourd’hui à une délocalisation pure et simple de nos emplois. » Dans un entretien, Swiss avait expliqué qu’il s’agissait d’une mesure d’urgence exceptionnelle et limitée dans le temps. Or, Swiss a non seulement appliqué cet accord sans rien y changer, mais la compagnie l’a prolongé pour une autre saison de vol jusqu’à aujourd’hui. À l’origine, l’accord prévoyait six avions, puis huit, et aujourd’hui à nouveau six. Entre janvier et août 2023, au total 860 membres d’équipage d’Air Baltic ont exercé leur activité à Zürich dans le cadre de vols wet lease, et au total 107 technicien·nes sur avions, comme le précise la décision de la Direction de l’économie publique du canton de Zurich.

Le Seco et la loi sur les travailleurs détachés

En 2022 déjà, Kapers s’est plaint auprès de l’instance de contrôle compétente, l’Office de l’économie et du travail du canton de Zürich, qui écrivait fin 2022 dans un premier jugement : « Il s’agit d’une location de services non autorisée : la relation contractuelle est donc nulle et non avenue ». Le Secrétariat d’État à l’économie (SECO), qui est compétent à l’échelle fédérale, a décrété au printemps 2023 que la location de personnel n’avait rien d’illégal, mais qu’elle tombait sous le coup de la loi sur les travailleurs détachés, dont elle devait par conséquent respecter les règles. Parmi lesquelles, entre autres, une rémunération minimale conforme aux normes locales. Or, le personnel navigant d’Air Baltic volait et vole encore avec des salaires mensuels bruts à partir de 1500 francs, à savoir moins de la moitié de ce que touche le personnel navigant suisse en début de carrière. Pour les pilotes aussi, l’écart salarial est considérable.

En août 2023, l’Office cantonal de l’économie a rendu Air Baltic attentif à ses obligations en matière d’annonce et d’autorisation, conformément à la loi sur les travailleurs détachés et à la loi sur les étrangers, et a exigé une liste de tous les collaborateurs employés dans le canton de Zürich. Dans un recours, Air Baltic et Swiss ont fait valoir à la Direction de l’économie publique qu’il ne s’agissait pas de personnel détaché.

Maintenance vs navigant : détaché ou non ?

Début septembre, la Direction de l’économie publique zurichoise a publié la décision prise par son instance de recours datant du 30 juin 2025. Elle confirme que les employé·es dans le domaine d’organisation de SEV-GATA sont bel et bien soumis à la loi sur les travailleurs détachés. « C’est un succès qui confère de la sécurité à nos membres », déclare Philipp Hadorn, secrétaire syndical président de SEV-GATA. Dans le rendu du jugement, on peut lire : « Contrairement à l’activité exercée par les membres d’équipage, les activités exercées par le personnel de maintenance n’impliquent aucune prestation de transport, uniquement des tâches à effectuer au sol. Pour s’acquitter de ces tâches, le personnel de maintenance dispose d’ailleurs à l’aéroport de Zürich d’un bureau, d’un entrepôt, de l’outillage indispensable et des pièces de rechange ». De janvier à août 2023, au moins cinq technicien·nes d’Air Baltic ont effectué sans interruption des travaux de maintenance à Zurich. Ils ont donc fourni une prestation de travail en Suisse, et il y a un lien avéré avec le marché suisse du travail, dans la mesure où, le cas échéant, Air Baltic aurait été contraint de confier ces travaux à une entreprise de maintenance en Suisse.

Concernant le personnel navigant, la décision a été tout autre : « Ses activités à l’aéroport de Zürich ne permettent pas d’établir un lien suffisant avec la Suisse », peut-on lire. « C’est pourquoi il ne relève pas de la loi sur les travailleurs détachés. »

Une mauvaise décision dangereuse

En tant que représentant des intérêts des employé·es de Swiss et d’Air Baltic, le syndicat du personnel de cabine Kapers a immédiatement annoncé qu’il déposait un recours auprès du Tribunal administratif de Zurich. « L’affaire n’a pas été éclaircie avec toute la rigueur requise par les autorités zurichoises », déplore Kapers dans une critique acerbe. « Des tableaux de service, des listes de layover et des réservations d’hôtel à Zurich montrent en effet clairement que le personnel navigant d’Air Baltic passe plusieurs jours d’affilée en Suisse, décolle en partie plusieurs fois par jour depuis Zurich et fournit également, à Zurich et durant plusieurs jours d’affilée, des services de réserve. Ce personnel séjourne ici ; disponible sur simple appel, il peut être mobilisé dans des délais très brefs et il est totalement intégré dans le fonctionnement de Swiss. Les pairings, les instructions et les prescriptions de service proviennent de Swiss. Même le kérosène est commandé via le portail de Swiss. Le lien du travail avec la Suisse est donc incontestable ».

Pour Sandrine Nicolic-Fuss, présidente de Kapers, cette « mauvaise décision » est « un précédent dangereux » : « En faisant sauter ainsi la protection salariale du personnel de cabine, on ouvre les vannes au dumping salarial dans toutes les branches – de l’aéronautique à la logistique, en passant par la construction et les soins ».

Mettre en œuvre maintenant la protection salariale pour le personnel

« SEV-GATA soutient pleinement le recours déposé par Kapers », déclare Philipp Hadorn. « La partie du jugement qui concerne le personnel de maintenance n’en est pas moins importante ; elle doit maintenant être mise en œuvre sans tarder ». Air Baltic n’est certes pas d’accord avec la partie du jugement qui concerne le personnel de maintenance, mais il ne conteste pas le jugement dans son intégralité, relèvent les journaux de Tamedia le 16 septembre. « Étant donné que ni Swiss ni les autorités impliquées n’ont l’intention de faire appel, il semble bien que le jugement soit désormais juridiquement valable. Ni le Tribunal administratif ni la Direction de l’économie publique n’ont toutefois été en mesure de le confirmer de manière définitive. » Quant à savoir si le Tribunal administratif acceptera le recours de Kapers, l’incertitude règne. Dans le cas con-traire, il ne restera plus aux salarié·es et aux syndicats qu’à emprunter la voie du Tribunal civil.

Markus Fischer