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25 ans de la charte violence

Le regard des pionniers du Gatu

De g. à dr. : Johan Pain, Gilbert D’Alessandro et Pierre Dovat, initiants de la charte de 2000.

Le 25 novembre prochain, nous commémorerons les 25 ans de la première charte d’engagement pour une meilleure sécurité dans les transports publics (TP) et la renouvellerons. Retour sur les origines en 2000 avec les initiants de la première charte, quand tout était encore à faire.

Fin septembre, au local du SEV à Lausanne, nous avons réuni trois initiants de la Charte de 2000 contre la violence. Avec leurs mots, ils nous racontent les débuts de la charte et la bataille jusqu’en 2007 pour que les agressions à l’encontre du personnel des transports soient poursuivies d’office dans la loi. D’autres membres illustres du Groupe autonome des transports urbains (Gatu), intégré depuis à la VPT, comme Martial Sandoz n’ont pu se libérer,ou, comme Frank Kurmann ou Bernard Mottet, sont décédés. Autour de la table, il y a Johan Pain, « père spirituel » de la Charte de 2000, longtemps président du Gatu, ex-président de la section VPT-tl et chauffeur de bus tl (1986-2015) retraité, Gilbert d’Alessandro, ancien membre du comité du Gatu, actuel président central VPT, chauffeur de bus aux TPF et ancien président de section TPF urbain, et Pierre Dovat, secrétaire du Gatu, chauffeur de bus (1975-1992) puis de tram (1992-2017) retraité aux tpg, membre du comité central et ex-président de la section tpg-Exploitation.

SEV, le journal : Pourquoi en 2000, vous est venue l’idée d’une charte contre la violence ?

Johan Pain : Il y avait des problèmes de violence en Suisse romande dont nous étions témoins au Gatu. Nous étions sans protection.

Gilbert D’Alessandro : Chauffeurs et contrôleurs avaient un sentiment d’insécurité. Quand je suis arrivé dans le groupe, on combattait clairement aussi bien la violence physique que verbale. Les deux font mal. Certains gestes aussi. En 1998, je me suis fait méchamment agresser. Aux Tpf, il n’y avait rien. Ça forge cette envie de venir au Gatu et de travailler sur cette charte.

JP : Dans nos rencontres et nos échanges avec des syndicalistes d’autres villes européennes comme Montpellier, nous avons appris qu’ils s’étaient dotés d’une charte. Nous avons invité les collègues français à Lausanne où nous avons organisé une table ronde avec le comité et des sections romandes du Gatu, des représentants des tl, tpg et Tpf urbain, et le secrétaire syndical SEV Francis Barbezat. Les directions ont trouvé que c’était une bonne idée cette charte et qu’il fallait travailler ensemble. Et c’est parti de là.

Pierre Dovat : Le texte, c’est nous, le comité du Gatu, qui l’avons écrit, accompagné par Barbezat. Il fallait qu’elle tienne la route !

Pourquoi les débuts de cette charte sont-ils en grande partie romands ?

GD : Il faut comprendre ce qu’était le Gatu. C’était un groupement qui était insatisfait de la sous-fédération VPT. Un groupe autonome. Nous regroupions avant tout – à près de 90 % – les secteurs urbains du pneu. Et, à part la STI et la Fart et TPL au Tessin, il n’y en avait pas d’urbains syndiqués au SEV dans le reste de la Suisse. Nous avons contacté par la suite le ssp et syndicom.

PD : Le Gatu était avant tout romand. Logiquement, les premières entreprises signataires le 16 novembre 2000 étaient romandes : tl, tpg, tpf, tn, vmcv et trn.

JP : Bernmobil, la première entreprise alémanique à signer la Charte en 2001, a ses membres syndiqués au ssp pour des raisons historiques. La même chose pour Zurich et Bienne. CarPostal a signé en 2002. Puis les entreprises de bateaux.

Les questions de violence touchaient aussi les collègues des CFF, non ?

JP : Oui, mais dans les Congrès du SEV, les membres du Gatu étaient un peu vus comme les pestiférés. Au niveau des sous-fédérations CFF, les seuls qui soutenaient, c’étaient les contrôleurs de la ZPV, parce que ça les concernait.

GD : En particulier avec la ZPV Lausanne avec qui nous étions en contact étroit. C’est pour cela que les CFF ont signé la charte en 2002. Du moins l’antenne lausannoise des CFF…

JP : Au SEV, tout ce qui venait du côté du Gatu passait mal et cela finissait parfois en engueulades. On était vus comme trop révolutionnaires et gauchistes. Nous, on voulait un syndicalisme de base. Cette charte, venue de la base, ils n’en voulaient pas trop.

PD : Pourtant, ce qu’on voulait, c’était protéger nos collègues chauffeurs. On demandait par exemple un groupe de travail paritaire entre directions et syndicat pour mettre en avant cette charte et prendre des mesures préventives et de soutien en cas d’agression. Cela a conduit à la pause de caméras dans le bus.

JP : Sauf aux tl. C’est la seule compagnie de bus vaudoise qui n’a pas de vidéosurveillance. Je l’ai dénoncé au conseil communal de Lausanne.

25 ans plus tard, l’histoire vous donne raison, non ?

JP : On ne refait pas l’histoire. Mais c’est vrai que c’est important que les propositions viennent de la base et que le syndicat soit là pour les mettre en œuvre. C’est le cas pour la sécurité et les enquêtes sur la santé de nos collègues. Je suis fier de voir que ces deux problématiques sont au cœur de préoccupations du SEV en 2025.

En 2000, vous pensiez déjà à l’idée que les agressions contre le personnel de conduite soient poursuivies d’office ?

GD : Oui, c’était totalement ça. On voulait se calquer se le modèle de nos collègues français. Il faut se rappeler que ce sont des conducteurs de bus qui ont écrit cette charte ! On y pensait, mais on ne savait pas comment le formuler. Mais c’était ce que nous voulions avec cette idée de modifier la législation pour renforcer notre intégrité morale et physique qui figure tout à la fin de la charte.

JP : C’est là que Me Erwin Jutzet a joué un grand rôle. Il était conseiller national fribourgeois PS et avait des mandats juridiques au SEV. Il voyait comment traduire notre idée en loi. Il a déposé une motion aux Chambres fédérales qui a abouti en 2007 à l’inscription de la poursuite d’office dans la Loi sur le transport de voyageurs (LTV) à son article 59.

PD : Notre pétition qui a récolté 10 000 signatures contre la violence dans les transports publics et en soutien avec la motion Jutzet que nous avons déposé en mars 2006 a bien aidé aussi.

GD : 10 000 signatures pour un petit groupe comme le nôtre, c’est énorme. En Suisse allemande, Jürg Hurni, alors chef de train à la ZPV, et le vice-président du SEV d’alors, François Gatabin, ont joué un rôle important du côté CFF.

Et comment est arrivé l’autocollant dans les bus ?

GD : Le Congrès SEV de 2009 a voté la résolution « La sécurité d’abord » et a donné le mandat de faire connaître cet article 59 LTV. En septembre 2010, le SEV et l’UTP, avec le soutien de l’OFT, ont annoncé la création du fameux autocollant à destination des voyageurs que l’on retrouve affiché depuis dans tous les TP.

Il indique que les infractions, répréhensibles selon le Code pénal et commises à l’encontre d’employé·es des TP, sont poursuivies d’office.

PD : Cela a été le déclic pour certaines entreprises un peu récalcitrantes à publiciser cet article de loi.

En lisant le texte de la nouvelle Charte de 2025 en cours de signature, quelle est votre première réaction ?

JP : Il y a de la couleur ! (rires) Je pense que c’est pas mal d’avoir précisé ce qu’on entend par violence et agression. Lutter contre les insultes et les agressions verbales est aussi très important. Si l’entreprise ne voulait pas dénoncer une agression verbale, la section suppléait et dénonçait elle-même l’agression au ministère public. On défendait nos membres ! Un usager témoin peut aussi dénoncer une agression. L’idéal, c’est toutefois que ce soit l’entreprise qui le fasse systématiquement pour que les autorités juridiques puissent poursuivre au sens de l’article 59 de la LTV.

Avec le recul, comment jugez-vous ces 25 dernières années ?

GA : Je suis très fier de tout cela et que notre syndicat défende la sécurité des collègues. Le SEV doit se souvenir que ce sont des militants qui ont porté cette charte !

JP : Je suis très fier aussi, même si le sigle du Gatu a un peu disparu de tout. Avec cette interview, on redonne un peu de cette flamme et cela me fait plaisir.

Yves Sancey

Journée commémorative

25 ans de la Charte contre la violence dans les transports publics.

Mardi, 25 novembre 2025, 10 h-15 h 15, UNIA Egghölzli, Berne

9 h 30 Café d’accueil

10 h Salutations des invité·es, bilan de 25 ans de Charte. Discours d’ouverture. Perspective européen et suisse.

10 h 30 Table ronde : Témoignages de personnes agressées et Commission femmes

11 h 25 Présentations : Bonnes pratiques en cas d’agression ; Repas de midi (12 h 15)

13 h Table ronde art. 59 LTV. Introduction, la bataille légale, Perspective allemande et du SEV. Table ronde : Quelle application ?

14 h 30 Signature de la Charte 2025